• On m'a demandé d'écrire plus souvent, et j'ai craint de ne pas avoir toujours des choses à dire, peut être parce que j'avais peur de me répéter ou, certainement, parce que j'avais peur d'aborder les choses qui me passent par l'esprit au quotidien, et que je ne couche que rarement sur le papier. Après tout quand on y pense il y a toujours des choses à dire, je crois bien que j'écris presque chaque jour quelques lignes dans mon agenda, avec des remarques futiles sur le temps, la musique qui passe dans mon walkman, mon impression du moment. Je ne m'étends jamais sur quelque chose qui ne m'a pas demandé plusieurs heures de réflexion, mais puisqu'on m'a demandé de parler plus, alors me voici.
    Ce soir, le sentiment dominant parmi tous ceux qui tournent autour de ma tête, c'est une espèce de soupe mêlée d'amertume et de rancoeur, deux éléments que j'ai toujours soigneusement veillé à mettre de côté, mais qui ressurgissent malgré tout quelques fois. On a beau se trouver toutes les raisons du monde de tendre l'autre joue et d'aimer la terre entière, je ne crois pas qu'on soit jamais à l'abri de ces quelques instants de rechute qui, s'ils sont rares, sont particulièrement douloureux. J'ai parfois l'impression qu'ils sont toujours là, embusqués, n'attendant qu'un instant de faiblesse pour sortir de leur trou. Ils ont profité d'une petite phrase assassine pour me tomber dessus, dissimulés derrière le chagrin. Je ne crois pas qu'il existe de sentiments pire que la rancoeur, elle fait partie de ces rares noms notés sur ma liste noire, ces choses que je ne veux pas connaître, que je ne veux jamais avoir à supporter. Qu'importe si on conclut des paix hâtives, si on met son orgueil dans la poche; je veux même bien passer pour une faible si ça peut me permettre d'éviter de sentir une quelconque rancoeur un jour dans ma vie.
    Pourtant ce soir elle est là, je sais qu'elle ne va pas rester bien longtemps, mais elle est là malgré tout. J'ai prié les Pénates et les Lares hier, comme pratiquement chaque jour de mon existence, et je sais que, tôt ou tard, ils m'aideront à la mettre à bas. Mais il y a ces moments où tout le réconfort du monde reste sans effet, ces minutes, ces heures où, regardant à l'extérieur d'un oeil morose, je ne vois rien ni personne qui mérite désormais que je m'attarde sur son cas. Et passer des heures à taper des mots abstraits sur les moteurs de recherche, dans l'espoir infime de trouver des images qui, sans que je puisse l'expliquer, me rappeleront quelque chose. Et Décembre qui arrive, une fois de plus, une fois de trop: j'essayerai, cette année, d'éviter mon éternelle déprime et les textes qui vont avec. Un peu de gaieté dans ce monde ne ferait pas de mal, un peu de couleur dans mon hiver si noir; je vais essayer de profiter des personnes qui sont présentes sans penser à celles qui ne sont plus là, de manger sans penser au lendemain, mais de ne pas trop boire. Des guirlandes rouge et dorées, des paquets cadeau multicolores au froissement irrésistible, et les innombrables lumières qui illuminent la ville durant des nuits interminables ou rien ne semble jamais devoir mourir. Et puis arrêter de penser à ce qui a été, à ce qui n'est plus; je ne veux même pas vraiment penser à ce qui sera, mais essayer pour une fois de me recentrer sur ce qui est, il y a tant de choses à voir. Les sourires, les mains tendues, les danses de Stella, les mario party de Drey, et tout ce qui m'aide à tenir bon alors que je m'imaginais déjà au bas de la pente. Je n'ai même pas glissé jusqu'en bas, en fin de compte, cette fois ci je me suis arrêté avant et j'ai remonté le courant sans me laisser emporter.

    Et voilà, du coup, l'amertume s'en est allée.

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  • C'est fou comme il fait froid ce soir, je vois arriver au grand galop les soirées entières que je vais passer à parler de l'hiver, du désespoir, du gel qui m'empêche de voir derrière ma fenêtre. Il faut dire que tout m'y pousse; les nuits sont plus longues et plus noires, j'ai presque l'impression que les étoiles sortent plus souvent, ou que les nuages n'arrivent plus à les masquer. Et puis le froid a ce pouvoir étrange, il procure cette sensation de mort extérieure qui ravive l'intérieur; je n'ai jamais autant l'impression d'être lucide et consciente que quand je suis gelée, comme si toutes les choses parasites et illusoires s'immobilisaient durant un instant. Dans ces moments là je suis sûre qu'on peut atteindre une illumination, une espèce de transe, mais on se met à penser tellement fort que le corps finit lui aussi par se réchauffer.
    Ce soir, il y a des étoiles gigantesques dans le ciel et un vent de mort qui dévore les branches, je les vois s'agiter derrière ma fenêtre, comme dans ces films d'horreur où une victime tente désespérément de chercher de l'aide en frappant contre les vitres. Je les laisse mourir pourtant, il faut croire que je suis d'humeur cruelle aujourd'hui; je vais même me délecter je crois de les voir crouler sous la neige dans les mois qui viennent. J'attends avec impatience ce moment chaque année, et qu'importe si je ne peux pas mettre un pied dehors sans mourir de froid; je désespère vraiment les années où il n'y a pas de neige, heureusement qu'elles sont rares, même si je me méfie toujours de l'avenir. Des fois je me dis qu'il doit y avoir une réminiscence de l'enfance quelque part, des souvenirs un peu nostalgiques de jardins immaculés et de constructions éphémères. A ma façon, je continue de vénérer la neige même si les raisons ont changé, et je l'attend chaque année à ma fenêtre, elle est mon Père Noël à moi :)
    D'ailleurs à trop en parler, je me surprends à regarder dehors, des fois qu'elle ai entendu à quel point je pensais à elle. Mais non, il est encore trop tôt, un peu trop tôt. Si elle m'écoutait, je crois qu'il neigerait tous les jours.

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  • Oh et puis, je n'avais pas envie de m'arrêter sur une note aussi peu réjouissante ce soir alors, puisqu'on est un jour un peu particulier, pourquoi pas un petit cours d'histoire.
    Aujourd'hui est un jour particulier, donc, puisque nous sommes un vendredi 13, jour traditionnellement associé au malheur ou plus généralement à la malchance. J'ai remarqué autour de moi aujourd'hui qu'au final assez peu de personnes en connaissaient les raisons, du moins celles communément admises. Alors pourquoi ne pas éclairer la lanterne des hérétiques qui pourraient lire ces lignes :)


    Fondé en l'an 1118 (ou 1119, c'est selon) à Jérusalem par neuf chevaliers français, l'Ordre du Temple se donne le rôle, après la première croisade, d'escorter les nombreux pélerins sur leur route pour la Terre Sainte. Officialisé par le Concile de Troyes en 1129, il acquiert une renommée de plus en plus étendue durant les deux siècles qui suivent. Guerriers nombreux et vaillants, les chevaliers du Temple participent à de nombreuses batailles aux côtés des francs pour défendre Jérusalem et d'autres hauts lieux de la Terre Sainte. Peu à peu, leur présence devient synonyme de pélerins plus nombreux et d'économie florissante; leur pouvoir s'accroit en même temps que leurs richesses. Jouissant d'un crédit illimité parmi les puissances de l'Occident, les chevaliers du Temple sont peu à peu sollicités pour gérer des fortunes colossales et deviennent en quelques sortes "banquiers" pour les pélerins mais aussi pour les rois de France et d'Angleterre notamment.
    Bien évidemment, leur pouvoir et leurs richesses finissent par faire des envieux. Le Roi Philipe IV, dit Philipe le Bel, fait pression sur le Pape Clement V qui demande alors à Jacques de Molay, grand maître des Templiers, de réformer son ordre par une fusion avec un ordre "concurrent". Ce dernier refuse, fournissant au Roi le prétexte parfait pour mettre son plan à exécution. On raconte que des centaines de missives furent envoyées dans les quatre coins de la France avec pour ordre d'être ouvertes à une heure précise: elles sont décachetées à l'aube du vendredi 13 Octobre 1307, et contiennent l'ordre d'arrestation de tous les Templiers du royaume.
    Sous la torture, de nombreux chevaliers finissent par avouer toutes sortes de blasphèmes, hérésies et comportements scabreux qui justifient leur arrestation aux yeux de l'Eglise. Livrés à l'Inquisition, ils sont brûlés et pendus par dizaines et, en 1312, le Pape abolit officiellement l'Ordre des Chevaliers du Temple. Le dernier Grand Maître, Jacques de Molay, est brûlé vif à la pointe de l'Ile de la Cité de Paris en 1314. On raconte que, durant son supplice, il maudit le Roi Philippe IV et le Pape Clément V, qui mourruent étrangement la même année. Par la suite, les descendants de Philippe IV seront appelés les "rois maudits", une légende reprise par Maurice Druon dans son célèbre roman.


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  • J'ai toujours été subjuguée de voir à quel point la perception des choses variait selon notre état d'esprit, notre humeur du moment, et les milliers de facteurs qui font que chaque jour ne ressemblera finalement jamais à celui qui l'a précédé, pas plus qu'à celui qui le suivra. La ville est, lors des soirées de liesse où je rentre à l'aube en évitant les arbres, un univers de vie et de couleurs qui me laisse sans voix, et même le plus bruyant des moteurs est à mes oreilles un des instruments qui composent sa symphonie. J'éprouve, dans ces moments là, une soif de découverte que rien ne peut assouvir et je crois bien que, si j'en avais la force, j'irais me perdre dans les ruelles les plus étroites pour connaître le plaisir discret de celui qui retrouve son chemin après un instant d'errance.
    Mais la ville est assassine pourtant, la multitude de ses voix et les lourdes mélodies transportées dans son air écarsent le voyageur isolé. Je n'ai plus grand chose à faire depuis quelques jours; hormis les cours et le sport, je n'ai plus guère de contact avec le monde. Je retrouve avec inquiétude des sensations lointaines qu'une rencontre avait rangées au placard, ces sensations de solitude suprême, qu'aucune visite éclair ni aucun coup de téléphone ne peuvent atténuer. Je crois que, même lorsqu'il m'arrive de voir du monde, j'ai l'air de m'ennuyer. Des odeurs de passé me remontent à la figure, ces odeurs putrides qui sentent le renfermé et qui me rappelent avec un malin plaisir que, aussi longue qu'ait été ma route, je ne suis pas très loin de mon point de départ à présent. Oh bien sûr il y a eu quelques changements, sans doute positifs. Mais je crois que j'aurais pu tuer plutôt que de revivre un jour l'expérience désolante des soirées en tête à tête avec un écran, animé dans le meilleur des cas, noir dans le pire. Ces soirées où la faim colle au ventre faute de trouver la motivation nécessaire pour préparer quoi que ce soit; et le souvenir coriace des petits plats mitonnés réapparait sournoisement par l'intermédiaire d'un tablier suspendu dans le vide. Ces soirées silencieuses où les musiques les plus gaies sont trop gaies et les plus tristes sont trop tristes, je n'ai pas envie de sourire mais pas vraiment de pleurer non plus; je crois qu'au fond, dans ces moments là, je n'ai envie de rien.
    Et j'entends dehors les voix qui s'élèvent, les voitures qui défilent sans jamais s'arrêter, les passants qui marchent côte à côte, si bien réglés que seuls deux bruits de pas font échos à leurs deux voix. Je me rappelle de mes premières années "en ville", lorsque mon univers se limitait à une chambre exiguë dans une résidence froide comme la mort; je passais des soirées entières assise à ma fenêtre, et le ballet des voitures ne semblait jamais cesser. J'aimais bien ma rue, avec l'odeur ennivrante des restaurants, les voix calmes et apaisées des riverains de longue date et, lorsqu'il pleuvait, le clapotement de la pluie sur les feuilles des arbres. J'avais beaucoup écrit sur ce quartier à cette époque, j'avais écrit également sur le désespoir que me causait cette ville nerveuse qui ne dormait jamais. Je n'étais pas habituée, immobile dans mon univers immobile, à me sentir étrangère dans un monde en perpétuel mouvement. Je l'avais découvert avec peine et en avait fait la douloureuse expérience; je crois que, plusieurs années plus tard, rien n'a vraiment changé.
    J'ai l'impression de me figer après avoir difficilement avancé dans le noir, de revenir sur mes pas faute de pouvoir tracer mon propre chemin. Je n'ai pas peur pourtant, je n'ai peur de plus grand chose désormais. Mais les occupations anodines me font horreur, j'aimerais parler mais je déteste les mots ordinaires, et tous les efforts désespérés que je fais pour occuper mon temps me font tourner la tête.

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  • Des éclairs qui déchirent le ciel, quelques notes de country en arrière-fond, l'air frais et vivifiant de la nature, les essences exaltées des arbres, de la mousse, des feuilles. Le vent danse au son des accords de la guitare, il ne s'arrête jamais décidément; je suis sûre qu'il est heureux ce soir, il a la pluie comme camarade, et je sais qu'ils s'entendent bien. Je regarde l'obscurité avec un sourire attendri sur le visage, comme si je voyais deux enfants jouer à la corde, et le grondement du tonnerre qui vient les rappeler à la raison de temps à autre. Et puis les notes accélèrent et prennent un ton encore plus gai, ce bon vieux air qui fait penser à une maison en bois perdue au milieu des plaines, à une famille réunie au coin du feu, aux bottes posées à côté de la porte. J'ai posé mes chaussures moi aussi, et puis j'ai ma maison en bois, ce soir il n'y a pas de feu mais la famille est quand même là. Certains airs me forcent presque à chanter moi aussi, je ne leur résiste pas longtemps; pour un peu, je me lèverai et danserai en rond, en prenant le premier venu par le bras.
    Mais non, ce soir j'accorde le tapotement du clavier de l'ordinateur à celui des doigts sur les cordes de la guitare, et la pluie curieuse vient frapper aux fenêtres. Tout est ouvert pourtant, quelques gouttes arrivent même à m'atteindre quelques fois. Quel bonheur de s'installer sur la terrasse quand il pleut, je me serais mise en plein air si je n'avais crains pour la vie de ce bon vieux compagnon éléctronique. Les éclairs sont de plus en plus vifs, tout à l'heure la foudre n'est pas tombée loin, on aurait dit une fin de monde, un de ces instants frisant l'apocalypse, où le ciel est multicolore, où le tonnerre fait presque trembler le sol. J'aimerai une fin du monde comme celle-ci, si jamais elle arrive; la pluie magnifie les choses et les êtres, et personne n'aurait à rougir de sa mort.

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