• C'est l'envie de partir qui m'a réveillée ce matin, qui m'a tirée d'un rêve tumultueux où je ne faisais que me perdre. J'ai du mal à dormir, ces temps ci, l'appel de l'ailleurs se fait de plus en plus fort, il s'accentue chaque jour, il ne me laisse pas de répis. J'ai l'impression d'avoir perdu le goût de toutes les choses qui me plaisaient tant, ici, je ne trouve plus de saveur dans les lieux ni les êtres, j'arpente les rues sans les voir, je ne lève presque plus la tête vers ce ciel que je connais par coeur. Il y a un voile gris sur ma ville, ces temps ci, un voile qui masque tout, un voile qui ne se lève pas. J'ai l'impression de la voir toujours voilée, même lorsqu'il s'en va, même lorsqu'elle est radieuse, que je croise des gens heureux et des lieux magnifiques. Je crois que plus grand chose ne me retient, ici, l'attachement inexorable à ma terre et ma culture m'a retenue jusqu'à maintenant; désormais, je crois qu'il ne suffit plus.
    Là-bas, je crois que j'ai d'autres choses à vivre. Pas que des belles choses, non, sûrement beaucoup de choses tristes aussi, de choses que je regretterais, de choses dont je n'aurais jamais voulu. Mais des choses nouvelles surtout, des moments, des lieux, des odeurs, toutes ces sensations suspendues dans l'air, la rumeur tranquille des villes et des campagnes qui résonne comme si chaque âme qui y vit déposait une note dans la symphonie. Chaque chant est différent, chaque endroit, chaque parcelle; je connais le chant de ma ville comme si je l'avais créé, dans une nuit d'inspiration, comme si je l'avais griffoné à la hâte sur une feuille volante, comme si je l'avais appris. Je veux entendre des chants nouveaux, ajouter des notes à ma propre symphonie, celle qui résonne autour de moi, celle qui me compose. Je ne crois pas que nous soyons faits pour vivre et demeurer au même endroit, je crois qu'à la base nous n'avions de cesse de parcourir le monde, et que le confort nous a retenus. Je ne veux pas me laisser retenir moi aussi, je ne veux pas écouter les conseils sages et les exigences, toutes ces voix qui ne prêchent que placidité et retenue.
    Là-bas, je sais qu'il y a des étoiles par milliers que je ne vois pas ici, que je vois si mal, que je n'ai jamais remarquées. Il y a un chant nouveau que je ne connais pas, une odeur qui ne me rappelera rien de familier, un univers tout entier à arpenter sans relâche jusqu'à l'avoir compris, lui et ce qui le fait. Je ne vois pas de plus belle occupation au monde, aucune de celles que l'on me propose ici ne lui arrive à la cheville, aucun avenir ne me semble plus brillant que celui là, je n'ai jamais vu d'herbe aussi grasse ailleurs. Il y a trop de fantômes ici, des âmes errantes qui ajoutent leur complainte au chant, qui murmurent, qui vont et viennent sans jamais trouver le repos. Là-bas, il n'y aura peut être pas de réponses, mais de nouvelles questions qui occuperont mon esprit bien ailleurs, bien loin, de tout ce qui le retient ici. Je ne veux plus m'appitoyer sur personne, ni voir ces silhouettes fugitives qui me suivent comme des spectres. Elles n'iront pas là-bas, elles ne franchiront pas le seuil parce que même si elles le voudraient, il leur manque quelque chose que rien ne pourra remplacer. Cette volonté qui transcende les mots et les belles paroles, qui transcende les résolutions faites pour ne jamais être tenues; cette capacité de savoir s'abandonner, lâcher prise, reconnaître que les éléments sont plus forts que tout, que nous n'avons pas toujours raison. Savoir renoncer à l'acquis et accepter le renouveau, qu'il soit en mieux ou en pire, apprendre à le recevoir et le façonner à son tour, apprendre à en faire quelque chose, et voir ce qu'il donnera. Au fond, je crois que c'est un travail de culture, de patience et de soins infinis; et je lui dois à lui, lui qui a la main si verte.

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  • Ce soir ce sont des notes d'orgue qui sèchent mes larmes. D'ordinaire, il me suffit d'écouter quelques chansons entraînantes, de celles qui me donnent envie de danser, et le soleil revient innonder la chambre, transpercer les volets de bois, sublimer tout ce qui m'entoure, moi y compris. Mais ce soir ça ne marchait pas, non, je les ai trouvées insipides, vides de sens et de couleur, je crois bien que je ne les ai même pas vraiment entendues. Et puis l'orgue s'est élevé, d'abord simple puis symphonique, une avalanche de notes, une poignée de souvenirs. Il a fait ressurgir en moi l'état que ne m'apportent que les musiques éternelles, ces essences religieuses, ces particules de rite, comme si les divinités elles-mêmes avaient insufflé leur présence dans l'instrument, comme si elles faisaient danser les notes; il m'a rendue nihiliste. Alors ce soir plus rien ne compte, il n'y a que la musique qui s'éleve, impériale, comme soufflant sur des ruines, sur les restes d'un champ de bataille, sur le spectacle de la fin du monde. Ce soir il n'y a rien d'autre que l'éternité, et tous ces êtres aux sentiments si éphémères, ces créatures de chaire périssables, ces voix vouées à s'éteindre derrière le souffle du vent, aucun d'eux n'existent plus, aucun d'eux ne compte. Ce soir je veux entendre le pandemonium s'élever jusqu'à ce que plus rien d'autre ne soit, jusqu'à ce que la douleur soit partie, si elle doit partir un jour, jusqu'à ce que la nuit s'éloigne.
    Je ne sais pas si j'arriverais à voir le Soleil lorsqu'il se montera à moi à nouveau, je ne sais pas si j'arriverais à le reconnaître, j'ai si souvent cru le voir lorsque ce n'était qu'un halot imposteur. Je ne sais pas si je le trouverais un jour, ni s'il saura me trouver lorsque j'aurais moi aussi terni, lorsque je ne serais qu'une ombre parmi les autres, ces étoiles éteintes d'avoir trop espéré. Je ne sais pas s'il y a un Soleil quelque part, au fond; je ne sais plus rien.

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  • Je crois que, au fond, on réfléchit beaucoup trop à beaucoup de choses, au final. Je crois qu'au fond chacun de nous aimerait vivre plus simplement, mais chacun de nous se l'empêche, pour des raisons ou des autres, pas toujours bien fondées, mais qui nous apparaissent toujours tellement valables. Je crois que, comme beaucoup, je me suis réfugiée derrière des prétextes qui me permettaient de rester sur place, d'attendre, d'anticiper et de faire des projets, comme si j'avais besoin d'être rassurée, quelque part, comme si on avait perdu notre faculté à laisser venir les choses. J'ai l'impression d'avoir été forcée depuis mon plus jeune âge à planifier les années qui s'étendent devant moi, à planifier des études, des destinations, à planifier des relations, des événements, un avenir toujours définit entre certains cadres, même si les faits ne correspondent jamais vraiment. Comme beaucoup, j'ai évolué dans cet espace cloturé en ayant l'impression d'avoir le monde à portée de main, comme le poisson qui ne se lasse jamais de faire le tour de son bocal, qui a l'impression de découvrir de nouveaux horizons, qui oublie qu'il arpente la même voie. A bien y réfléchir, rien ne peut empêcher quelqu'un qui a décidé d'avancer, de le faire. Les choses stables et sérieuses peuvent attendre, elles peuvent même ne jamais venir, et elles ne manqueront pas.
    La nouvelle philosophie, la seule qui vaille, c'est de vivre spontanément. Dans le respect des autres, bien sûr, dans le respect de soi. Et de ne jamais, surtout jamais, laisser des impératifs extérieurs prendre le pas sur sa propre volonté. Rien ni personne ne mérite que l'on perde son temps, son énergie, que l'on sacrifie ses rêves. Au fond, je crois que les seules personnes bien intentionnées sont celles qui ne s'interposent pas, justement, qui ne créent aucune contrainte, qui n'exigent rien qui puisse brider l'élan, quel qu'il soit. Les autres ne sont que possession et matérialisme, elles veulent enfermer l'essence qu'elles ne parviennent pas à suivre, comme si elles savaient qu'elles allaient finir par la perdre à l'horizon. L'essence va et vient, elle s'envole, elle se pose parfois, peut être pour toujours, mais elle ne cherche pas à s'arrêter. Si elle trouve un courant d'air plus chaleureux que les autres elle s'y laissera emporter, mais elle vole seule, au gré des vents ascendants.
    C'est la révélation que j'ai eue ce soir-là, en voyant ses yeux qui brillaient, je me demandais ce qui pouvait les faire étinceler, et j'ai fini par comprendre. Ils reflètent cette essence evanescente et éphémère qui ne se tarit jamais car elle ne fait que se renouveler, chaque jour, chaque heure. Cette essence qui enveloppe son odeur, les lignes de ses mains, les notes de sa voix, chacun de ses regards, et que je trouvais si étrange. Elle puise de l'amitié dans les sourires, de l'amour dans la chaleur d'une étreinte, des rêves dans les voyages, des connaissances dans les études, des expériences dans le quotidien. Elle ne s'embarrasse pas de ces contraintes qui affaiblissent les autres, elle ne s'embarasse de rien, du moins pas encore. Elle ne fait que voler, se poser de temps en temps, et décoller à nouveau.
    Je crois que, au fond, c'est le seul moyen d'être vraiment heureux.


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  • Je me rappelle, ce soir-là, j'ai passé une bonne partie de la nuit assise sur la grève, avec le chant des vagues comme seule compagnie. Moi qui ai peur du noir, je n'avais même pas vu le jour baisser et la voûte se consteller d'étoiles; moi qui ai peur de l'eau, je n'avais même pas pensé un seul instant à une éventuelle marée, dont la seule idée aurait dû me faire fuir. Ce soir là je ne pensais à rien, ou au contraire je pensais à tout,à tellement de choses que rien ne pouvait m'atteindre. C'était la première fois que je perdais quelqu'un de proche, la première fois que je faisais véritablement l'expérience de la poussière qui retourne à la poussière, et qui emporte tout avec elle. Pendant de nombreuses semaines voir quelques mois, j'avais vu l'esprit se dissoudre dans l'air; je ne me posais pas la question de savoir si c'était une image ou non: il était là. Par moment, je me demandais combien de temps il lui faudrait pour disparaître totalement: l'âme avait-elle vraiment besoin d'autant de temps pour s'évaporer, resterait-elle au contraire toujours là, à planer au dessus des vivants? Par moment j'avais peur, peur d'être observée, de devoir répondre de mes paroles et de mes pensées, d'être attirée par ce fourmillement dans l'air que je pouvais voir aussi distinctement qu'un rayon de soleil. Je n'étais pas bien grande encore mais, à l'heure où mes cousins eux aussi endeuillés évacuaient leur peine à grand renfort de chants au coin du feu, je m'étais écartée pour suivre la lumière, déja, et voir jusqu'où elle pourrait s'aventurer.
    C'est elle qui m'avait conduite ici, je crois, c'était pour penser à tout ça que j'avais éprouvé le besoin de m'asseoir, et de regarder dans le vide. J'aimais déjà la mer à l'époque, mais encore plus aujourd'hui, surement grâce à ce soir-là d'ailleurs. Parce que c'est ce soir là que j'ai réalisé qu'il n'y avait pas de mal à souffrir, certes, mais qu'il n'y avait pas non plus de mal à guérir de ses plaies. C'est en levant les yeux vers ce ciel dégagé d'avril que j'ai vu que l'esprit n'était plus là, qu'il n'y avait peut être même jamais été, que j'avais juste eu peur de l'oublier, que je me serais sentie coupable. J'avais faussement pensé que la douleur lui rendrait hommage, ou honorerait au moins l'épreuve qu'était sa perte; alors que, au fond, je ne pensais pas qu'il trouverait un quelconque intéret à nous savoir accablés. Et puis quand j'ai réalisé que je n'avais plus autant de peine qu'avant, j'ai senti le poids du souvenir s'envoler et, soudainement, je ne me suis plus sentie obligée de broyer du noir.
    C'est à ce soir là que je pense, aujourd'hui, quand le sourire des proches et les paroles de ceux qui sont loin me réchauffent le coeur. Je me rappelle que tout ce qui est donné de bon coeur est bon à prendre, même le scintillement éphémère d'une étoile filante, un compliment adressé dans la rue, une bonne nouvelle, une invitation. Je me rappelle que ce soir-là j'avais réalisé que non, on n'est pas obligé d'être malheureux quand quelque chose de malheureux nous arrive, et qu'il reste toujours bien plus de raisons de se réjouir que de se morfondre. Alors quand je sors de mon nouveau chez-moi le matin je ne regarde plus par terre depuis quelques temps, je redécouvre que les gens autour de moi ont un visage, que parfois même ils sourient. Qu'au fond, ils se soucient bien peu de ce qui a pu nous arriver avant, il y a quelques mois, il y a quelques années. Que, dans un sens, il faut renaître chaque jour pour pouvoir les regarder dans les yeux, et parfois leur répondre. Je regrette de ne pas m'en être rendue compte avant, d'avoir pensé que je pouvais traîner ma carapace à bout de bras comme si sa présence allait être évidente pour tout le monde. Je la laisse à l'étage désormais, et tant pis si je prends quelques éraflures pendant la journée, les autres arrivent très bien à s'en remettre. Et je suis tout ce qu'il y a de plus commun.


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  • I WORRY

    I worry about you--
    So long since we spoke.
    Love, are you downhearted,
    Dispirited, broke?

    I worry about you.
    I can't sleep at night.
    Are you sad? Are you lonely?
    Or are you all right?

    They say that men suffer,
    As badly, as long.
    I worry, I worry,
    In case they are wrong.


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