• C'est fou, tu sais, il y a encore ton nom sur la porte mais ton odeur est pratiquement partie, maintenant. Même tes affaires ne sentent que moi désormais, il n'y a plus que moi, unique vestige de notre univers, comme une ruine secouée par le vent, une âme en peine déambulant entre des bâtisses à l'abandon. Il y a des échos pourtant parfois, et le cri plaintif de la pluie sur les vitres me rappelle le crépitement des bougies que tu répandais dans l'appartemment, avec les volutes d'encens qui s'élevaient de mon autel comme pour nous bénir, sous l'oeil bienveillant de mes protecteurs qui étaient devenus les tiens.
    C'est toi qui a toujours voulu noter des choses dans un cahier et c'est moi maintenant qui gribouille des pensées sur des feuilles volantes; je me refuse encore à écrire dans le joli carnet que je t'ai trouvé, et que j'attends d'avoir l'occasion de t'offrir. Ca a toujours été comme ça, je crois, des bonnes pensées avortées, tu avais envie d'écrire et de lire bien plus, sans jamais le faire pourtant. Je me rappelle que tu avais même pleuré le jour où je t'ai donné le premier chapitre, c'était comme si une grande aventure commençait pour toi et pour moi aussi d'une certaine façon; ça aussi, ça a avorté. Mais je ne t'en veux pas maintenant, tu sais, je ne t'en veux plus pour rien depuis longtemps.
    Et maintenant j'écris pour nous deux, j'assume ta part et je rattrape le retard de ces dernières années, ces périodes où j'avais tant à faire et tant à penser que je n'écrivais pratiquement plus. J'avance, je progresse, j'ai enfin l'impression depuis longtemps de construire quelque chose qui tient debout, je ne m'en croyais plus vraiment capable. Je me suis remise à dépeindre des choses banales et extraordinaires, des gens que je croise, que je rencontre, à le dépeindre lui avec son feu d'artifice sur le visage.
    J'avais perdu, je crois, ce pouvoir régénérateur des mots, je m'étais mise à les associer aux périodes troublées, et à ne jouer avec eux que pour exprimer des choses qui me troublaient, parfois même pour broyer encore plus de noir. Maintenant je me souviens, je me rappelle à quel point ils peuvent aider, ou être agréables tout simplement. Pas un passe-temps, pas un besoin non plus, je ne veux pas entrer dans le schéma de tous ces gens qui prétendent qu'ils ne peuvent pas vivre sans art. On peut toujours vivre sans art; on vit juste moins bien. Et là, pour le coup, je vis un peu mieux depuis que je l'ai laissé entrer à nouveau dans ma vie, il s'était senti un peu de trop depuis quelques années, sans doute parce que j'avais peur qu'il ne prenne trop de place. Alors qu'il y a tellement de place à combler maintenant, tellement de temps et de pensées dont il peut faire ce qu'il veut. Et puis, après tout, ce n'est pas un mauvais compagnon, si seulement ils pouvaient tous être aussi créatifs.


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  • Et voilà, comme souvent, je viens de parler de monastère dans un message que j'ai écrit, et je me remet à réfléchir au point d'être incapable de trouver le sommeil. J'ai toujours été fascinée par les monastères, par les existences reclues, détachées de toutes les choses terrestres. J'ai compris très tôt que c'était bien plus que de belles paroles, de beaux préceptes qu'on débite dans les films ou dans des consersations pseudo-spirituelles qui finissent toujours par conclure que, enfin de compte, on est bien mieux chez soi; j'ai compris en visitant pour la première fois un monastère des Chartreux que, sans aucun doute, cette vie fait partie de celles que j'aurais aimé vivre. Je me souviens, mes parents étaient scandalisés de découvrir des cellules minuscules, une austérité tout à fait terrifiante, et pas le moindre rapport avec l'autre en dehors des heures de prière. Ma mère, cartésienne s'il en est, avait demandé, en attendant sans doute un haussement d'épaules comme seule réponse, ce qu'ils pouvaient bien faire de leur temps, elle était persuadée qu'ils devaient s'ennuyer, et ne s'imaginait pas une seule seconde à leur place.
    Alors moi, forcément, j'avais essayé d'expliquer, de lui dire à quel point on pouvait remplir ses journées même en étant seul, isolé, enfermé. J'avais essayé de lui décrire la paix qu'on pouvait trouver dans un tel endroit, si reculé que rien ni personne ne pouvait troubler son existence. De là-bas, notre petit monde à nous ressemblait à une planète lointaine dont demeuraient quelques récits ça et là, tracés d'une main hative sur du papier médiocre, et qui n'intéressaient pas grand monde. Elle n'avait pas idée à quel point notre quotidien à tous était futil dans ces demeures du bout du monde et, à mon sens, il n'y avait que là-bas, dans ces bâtiments qui se dressent sur la limite entre le tout et le rien, qu'on pouvait réellement atteindre ce stade de "conscience supérieure" dont parlent les mythes, cette illumination. Ca me donne le vertige, parfois, de me dire qu'il est possible de vivre en permanence les quelques heures magiques que je passe derrière ma fenêtre, avec ma pensée comme seule compagne, et les milliers de questions qui tourbillonnent dans mon esprit, sans jamais se dissiper. J'ai le sentiment que, dans un tel cadre, les réponses ne se feraient jamais attendre, et je n'ose imaginer ce que serait capable de produire un esprit totalement débarassé de ses démons. Atteindre un tel stade n'a pas de prix, cela vaut à mon sens tous les sacrifices, et rien ni personne ne pourra me convaincre que l'on est mieux chez soi, à stresser pour des examens, des problèmes, du travail qui s'accumule, une émission du soir repoussée. J'ai parfois l'impression de me trouver sur le seuil, dans mes plus grands moments de réflexion, d'être à deux doigts de comprendre la futilité de tout cet univers que l'on a bâti autour de nous; dans de tels moments je suis au bord du renoncement, prête à m'abandonner, à tout envoyer ballader puisque, au fond, rien n'a vraiment d'importance. Et puis bien sûr la réalité me rattrape, on frappe à ma porte, on m'appelle, on m'écrit, et je reviens dans le monde alors que j'avais déjà un pied dehors.
    Des fois je me dis que je suis sans doute trop jeune, et encore bien trop marquée par toutes les choses que je suis sensée accomplir, et qui me retiennent ici. Et je me demande comment je serais lorsque mon existence sera derrière moi, et que les années qui s'offriront à moi ne seront que ce que je voudrais bien en faire. A moins que j'ai le courage de me libérer plus tôt, de franchir ce pas, et d'entamer la longue progression vers l'infini. Les moines l'ont bien compris, et ils l'ont illustré: elle ne s'accomplit qu'au prix de tout le reste, il ne doit demeurer rien ni personne d'autre. Se retrouver seul, complètement seul, et comprendre ce qu'est réellement la vie avant de la voir s'échapper déjà, et de rejoindre le néant.


     


    (tu vois, Ethi, c'est mal de me brancher sur des sujets comme ça ;)


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  • 10h du matin, en ce jour de Noël avant l'heure (oui chez moi on fait Noël le 23 cette année, allez comprendre).
    J'ai reçu le nouvel oeuf de Lisa hier, j'ai pris mon mal en patience pour pouvoir l'écouter dans de bonnes conditons; ça a été dur mais j'ai réussi à penser à autre chose, à laisser le boitier intact, et à attendre.
    Ce matin enfin j'ai commencé à percer sa coquille, un petit coup discret pour lui faciliter la tâche, et maintenant il se fissure sous mes yeux, et est sur le point d'éclore doucement. J'ai toujours l'impression d'assister à une naissance, comme si elle était une de ces matrices qui envoie sa progéniture à travers le monde, et chaque admirateur a son oeuf à lui, qui donnera quelque chose de différent selon un tas de facteurs qui ne se reproduisent jamais deux fois à l'identique.
    Je l'écoute en déjeunant et j'ai l'impression que les volutes de fumée qui s'élèvent de ma tasse dansent au son de sa voix; elles forment une bulle qui m'enveloppe et me sort du monde. In Exile, premier titre, tire des larmes de mes yeux encore endormis; d'ordinaire, je n'aime pas spécialement commencer une journée en pleurant, mais ce sont ici des larmes pleines de vies et je ne pouvais rêver de meilleur début. J'avais veillé à ne rien lire ou presque sur ce nouvel enfant, à me tenir éloignée des commentaires même si certains sont quand même parvenus jusqu'à moi. Je l'écouterai encore quelques fois avant de m'intéresser à ce que les autres en pensent et, même à ce moment là, je sais que mon oeuf à moi n'aura rien à voir avec celui qu'ils ont écouté.
    Elle est là, elle est encore vivante même en étant si loin, comme si une existence entière la séparait de nous autres mortels. Et quand j'ai le bonheur de frôler sa nouvelle oeuvre, je repense avec émotion aux heures et aux journées passées à écouter en boucle des chansons parfois anciennes, connues et répétées, en y cherchant une émotion nouvelle qui ne se fait jamais attendre. Et puis là maintenant j'ai quelque chose de neuf sous les yeux, des effleurements nouveaux qui glissent sur mes oreilles et font frémir ma peau. C'est toujours un moment magique, celui où une chanson inconnue rejoint la grande famille de ses congénères, elle sort de son oeuf et entre dans la bulle, dans ce monde unique que Lisa a créé. J'ai toujours l'impression d'être une privilégiée à de tels instants, comme si j'étais la seule à vivre cela. Au fond, je suppose que l'on a tous plus ou moins cette impression. Bienvenue à toi, Silver Tree.


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  • Ca me fait mal, parfois, de me dire que tous ces gens que je croise dans la rue, tous ceux qui ont un regard triste, et même ceux qui rient aux éclats, ont sans doute eux aussi des plaies dissimulées sous leurs vêtements. Ca me fait mal de me rendre compte peu à peu qu'il n'y a pratiquement pas un seul être humain qui ne vive pas avec le souvenir de ses émotions passées, avec des blessures parfois lointaines mais toujours douloureuses, avec des pertes et toutes sortes de déceptions. Je m'étais laissée absorber dans une vision idyllique d'un monde où les autres étaient toujours heureux; peu m'importait au fond de souffrir pour ma part, je trouvais souvent le réconfort en regardant les gens aller et venir, comme si rien ne les troublait jamais, comme s'ils avaient toujours ce même air béat sur le visage qui me montrait que, en fin de compte, il y avait des gens pour qui tout allait bien.
    Et puis les témoignages se sont multipliés, j'ai entendu des tas d'histoires si différentes, j'ai appris à ouvrir les yeux avec un petit peu plus d'attention sur ceux qui m'entourent, et j'ai compris que personne n'était épargné. A présent, les visages rieurs de mes souvenirs sont voilés, et ceux qui, dans mon enfance, me paraissaient toujours au mieux de leur forme, se révèlent maintenant sous leur véritable jour. J'ai réalisé que je les regardais depuis tant d'années avec un regard d'enfant naïf qui dresse une frontière entre ses proches et les autres; je m'étais imaginé sans vraiment m'en rendre compte que les gens qui m'entouraient étaient forcément différents, moins affectés par toutes ces choses qui forment l'existence. Alors maintenant je regarde les passants d'un oeil différent, je me dis que, parmi les visages anonymes que je croise, il y a des personnes qui souffrent peut être, d'autres qui remontent la pente, d'autres qui viennent à peine de se relever. Et je me sens bien plus partie de ce tout maintenant que moi aussi j'ai ma blessure, cette marque qui me collera à la peau jusqu'à mon dernier jour, et que le temps ne fera que masquer d'un voile discret.
    Ils en ont du courage, ces héros du quotidien, pour porter leur fardeau sans en avoir l'air. Parfois, je me demande à quoi je ressemble.


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  • Et voilà: ce soir, ma dernière soirée à 20 ans, "le plus bel âge" comme on dit, celui où on est sensé être heureux et insouciant, bien peu préoccupé par les aléas de la vie. Au final je crois que c'est la pire année que j'ai passée depuis aussi loin que je me souvienne, principalement parce que j'ai traversé, durant les neuf derniers mois, l'étape délicate et ô combien douloureuse de la séparation. Alors oui bien sur je peux aussi trouver pas mal de choses positives en cherchant bien, des personnes que j'ai revues et que je ne compte pas perdre de si tôt, de nouvelles activités, de nouvelles connaissances, et pas mal de nouveaux horizons qui se sont débloqués.
    C'est dingue à quel point on peut devenir autiste quand on vit en couple, c'est à la fois une expérience enrichissante et terriblement restreinte, dans le sens où on en arrive à ne faire et à n'avoir envie que de choses qui peuvent se faire à deux. Alors oui bien sûr ces choses là valent des milliards de choses qu'on fait seul, elles ouvrent la porte à un quotidien nouveau et magique empli d'éléments qu'on aurait jamais soupçonnés jusqu'alors. Et puis petit à petit quand cet univers tout entier se dissipe, on réalise que, pendant des années, il a servi de voile coloré pour masquer des alentours sombres. J'ai du mal à me souvenir maintenant des instants que j'ai vécus dans cet environnement baigné de lumière, j'ai rapidement eu l'impression de ne plus faire partie des élus et de me voir refuser jusqu'à l'accès aux souvenirs. Ils me semblent lointains à présent, ces premiers mois que j'ai du passer au milieu de ce monde monochrome où je ne trouvais aucun repère. Je crois que, au final, j'ai réussi à tirer mon épingle du jeu, j'ai réussi à garder les souvenirs colorés et les impressions magiques et à me défaire des tristesses grises et des hivers glacés: j'ai fait une sorte de tri et je n'ai gardé que ce qui me permettrait de continuer à avancer malgré tout, en laissant loin derrière le lourd fardeau de la nostalgie. Alors oui bien sur il me rattrape parfois, le temps de quelques minutes, mais je réussi toujours à le distancer, et je crois que j'ai déjà gagné la course. La mélancolie restera toujours mais elle est ma compagne de tous les instants, et elle était là bien avant tout le reste, comme si j'étais née de son sein.
    Alors finalement, cette année aurait peut être pu être pire, et je la regarde sereinement s'éclipser au coin de la rue, en lui faisant un signe discret qu'elle ne verra sans doute pas. Ca fait toujours bizarre de penser que ce sont des choses qui ne reviendront plus jamais, et que plus jamais je ne pourrais dire "j'ai vingt ans". Mais que peut-on faire d'autre à part savourer cette sentation étrange de page qui se tourne, d'un livre qui s'ouvre sur un nouveau chapitre qui ne demande qu'à être écrit. Mon premier paragraphe, ça sera la soirée mario party-téquila de ce soir, histoire de ne pas perdre les bonnes habitudes, et histoire de bien me mettre le pied à l'étrier. Et demain, si je suis encore lucide, je pourrais dire "j'ai vingt-et-un ans". Et ça sera très bien comme ça.


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