• Oh et puis, je n'avais pas envie de m'arrêter sur une note aussi peu réjouissante ce soir alors, puisqu'on est un jour un peu particulier, pourquoi pas un petit cours d'histoire.
    Aujourd'hui est un jour particulier, donc, puisque nous sommes un vendredi 13, jour traditionnellement associé au malheur ou plus généralement à la malchance. J'ai remarqué autour de moi aujourd'hui qu'au final assez peu de personnes en connaissaient les raisons, du moins celles communément admises. Alors pourquoi ne pas éclairer la lanterne des hérétiques qui pourraient lire ces lignes :)


    Fondé en l'an 1118 (ou 1119, c'est selon) à Jérusalem par neuf chevaliers français, l'Ordre du Temple se donne le rôle, après la première croisade, d'escorter les nombreux pélerins sur leur route pour la Terre Sainte. Officialisé par le Concile de Troyes en 1129, il acquiert une renommée de plus en plus étendue durant les deux siècles qui suivent. Guerriers nombreux et vaillants, les chevaliers du Temple participent à de nombreuses batailles aux côtés des francs pour défendre Jérusalem et d'autres hauts lieux de la Terre Sainte. Peu à peu, leur présence devient synonyme de pélerins plus nombreux et d'économie florissante; leur pouvoir s'accroit en même temps que leurs richesses. Jouissant d'un crédit illimité parmi les puissances de l'Occident, les chevaliers du Temple sont peu à peu sollicités pour gérer des fortunes colossales et deviennent en quelques sortes "banquiers" pour les pélerins mais aussi pour les rois de France et d'Angleterre notamment.
    Bien évidemment, leur pouvoir et leurs richesses finissent par faire des envieux. Le Roi Philipe IV, dit Philipe le Bel, fait pression sur le Pape Clement V qui demande alors à Jacques de Molay, grand maître des Templiers, de réformer son ordre par une fusion avec un ordre "concurrent". Ce dernier refuse, fournissant au Roi le prétexte parfait pour mettre son plan à exécution. On raconte que des centaines de missives furent envoyées dans les quatre coins de la France avec pour ordre d'être ouvertes à une heure précise: elles sont décachetées à l'aube du vendredi 13 Octobre 1307, et contiennent l'ordre d'arrestation de tous les Templiers du royaume.
    Sous la torture, de nombreux chevaliers finissent par avouer toutes sortes de blasphèmes, hérésies et comportements scabreux qui justifient leur arrestation aux yeux de l'Eglise. Livrés à l'Inquisition, ils sont brûlés et pendus par dizaines et, en 1312, le Pape abolit officiellement l'Ordre des Chevaliers du Temple. Le dernier Grand Maître, Jacques de Molay, est brûlé vif à la pointe de l'Ile de la Cité de Paris en 1314. On raconte que, durant son supplice, il maudit le Roi Philippe IV et le Pape Clément V, qui mourruent étrangement la même année. Par la suite, les descendants de Philippe IV seront appelés les "rois maudits", une légende reprise par Maurice Druon dans son célèbre roman.


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  • J'ai toujours été subjuguée de voir à quel point la perception des choses variait selon notre état d'esprit, notre humeur du moment, et les milliers de facteurs qui font que chaque jour ne ressemblera finalement jamais à celui qui l'a précédé, pas plus qu'à celui qui le suivra. La ville est, lors des soirées de liesse où je rentre à l'aube en évitant les arbres, un univers de vie et de couleurs qui me laisse sans voix, et même le plus bruyant des moteurs est à mes oreilles un des instruments qui composent sa symphonie. J'éprouve, dans ces moments là, une soif de découverte que rien ne peut assouvir et je crois bien que, si j'en avais la force, j'irais me perdre dans les ruelles les plus étroites pour connaître le plaisir discret de celui qui retrouve son chemin après un instant d'errance.
    Mais la ville est assassine pourtant, la multitude de ses voix et les lourdes mélodies transportées dans son air écarsent le voyageur isolé. Je n'ai plus grand chose à faire depuis quelques jours; hormis les cours et le sport, je n'ai plus guère de contact avec le monde. Je retrouve avec inquiétude des sensations lointaines qu'une rencontre avait rangées au placard, ces sensations de solitude suprême, qu'aucune visite éclair ni aucun coup de téléphone ne peuvent atténuer. Je crois que, même lorsqu'il m'arrive de voir du monde, j'ai l'air de m'ennuyer. Des odeurs de passé me remontent à la figure, ces odeurs putrides qui sentent le renfermé et qui me rappelent avec un malin plaisir que, aussi longue qu'ait été ma route, je ne suis pas très loin de mon point de départ à présent. Oh bien sûr il y a eu quelques changements, sans doute positifs. Mais je crois que j'aurais pu tuer plutôt que de revivre un jour l'expérience désolante des soirées en tête à tête avec un écran, animé dans le meilleur des cas, noir dans le pire. Ces soirées où la faim colle au ventre faute de trouver la motivation nécessaire pour préparer quoi que ce soit; et le souvenir coriace des petits plats mitonnés réapparait sournoisement par l'intermédiaire d'un tablier suspendu dans le vide. Ces soirées silencieuses où les musiques les plus gaies sont trop gaies et les plus tristes sont trop tristes, je n'ai pas envie de sourire mais pas vraiment de pleurer non plus; je crois qu'au fond, dans ces moments là, je n'ai envie de rien.
    Et j'entends dehors les voix qui s'élèvent, les voitures qui défilent sans jamais s'arrêter, les passants qui marchent côte à côte, si bien réglés que seuls deux bruits de pas font échos à leurs deux voix. Je me rappelle de mes premières années "en ville", lorsque mon univers se limitait à une chambre exiguë dans une résidence froide comme la mort; je passais des soirées entières assise à ma fenêtre, et le ballet des voitures ne semblait jamais cesser. J'aimais bien ma rue, avec l'odeur ennivrante des restaurants, les voix calmes et apaisées des riverains de longue date et, lorsqu'il pleuvait, le clapotement de la pluie sur les feuilles des arbres. J'avais beaucoup écrit sur ce quartier à cette époque, j'avais écrit également sur le désespoir que me causait cette ville nerveuse qui ne dormait jamais. Je n'étais pas habituée, immobile dans mon univers immobile, à me sentir étrangère dans un monde en perpétuel mouvement. Je l'avais découvert avec peine et en avait fait la douloureuse expérience; je crois que, plusieurs années plus tard, rien n'a vraiment changé.
    J'ai l'impression de me figer après avoir difficilement avancé dans le noir, de revenir sur mes pas faute de pouvoir tracer mon propre chemin. Je n'ai pas peur pourtant, je n'ai peur de plus grand chose désormais. Mais les occupations anodines me font horreur, j'aimerais parler mais je déteste les mots ordinaires, et tous les efforts désespérés que je fais pour occuper mon temps me font tourner la tête.

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  • Des éclairs qui déchirent le ciel, quelques notes de country en arrière-fond, l'air frais et vivifiant de la nature, les essences exaltées des arbres, de la mousse, des feuilles. Le vent danse au son des accords de la guitare, il ne s'arrête jamais décidément; je suis sûre qu'il est heureux ce soir, il a la pluie comme camarade, et je sais qu'ils s'entendent bien. Je regarde l'obscurité avec un sourire attendri sur le visage, comme si je voyais deux enfants jouer à la corde, et le grondement du tonnerre qui vient les rappeler à la raison de temps à autre. Et puis les notes accélèrent et prennent un ton encore plus gai, ce bon vieux air qui fait penser à une maison en bois perdue au milieu des plaines, à une famille réunie au coin du feu, aux bottes posées à côté de la porte. J'ai posé mes chaussures moi aussi, et puis j'ai ma maison en bois, ce soir il n'y a pas de feu mais la famille est quand même là. Certains airs me forcent presque à chanter moi aussi, je ne leur résiste pas longtemps; pour un peu, je me lèverai et danserai en rond, en prenant le premier venu par le bras.
    Mais non, ce soir j'accorde le tapotement du clavier de l'ordinateur à celui des doigts sur les cordes de la guitare, et la pluie curieuse vient frapper aux fenêtres. Tout est ouvert pourtant, quelques gouttes arrivent même à m'atteindre quelques fois. Quel bonheur de s'installer sur la terrasse quand il pleut, je me serais mise en plein air si je n'avais crains pour la vie de ce bon vieux compagnon éléctronique. Les éclairs sont de plus en plus vifs, tout à l'heure la foudre n'est pas tombée loin, on aurait dit une fin de monde, un de ces instants frisant l'apocalypse, où le ciel est multicolore, où le tonnerre fait presque trembler le sol. J'aimerai une fin du monde comme celle-ci, si jamais elle arrive; la pluie magnifie les choses et les êtres, et personne n'aurait à rougir de sa mort.

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  • Il y a des choses que je remarque beaucoup plus depuis que je ne lis plus en marchant. Peut être est-ce l'atmosphère studieuse des mois de fac qui me monte à la tête, mais en période scolaire je ne fais pas un pas dehors sans un livre à la main: je lis en marchant dans la rue, je lis dans le métro, dans le bus, dans le tram, parfois même à la caisse des magasins. Et puis, les vacances et le travail aidant, je suis passée au walkman, et j'ai eu peu à peu l'impression de découvrir un monde qui échappait jusqu'alors à mon attention.
    Il y a des gens sur lesquels le temps n'a pas d'emprise, qui demeurent jour après jour au même endroit, et que l'on est sûr de trouver si on sait comment s'y prendre. Je les appelle les monuments car j'ai parfois l'impression que, si la population tout entière venait à disparaître, ils seraient toujours là, figés et impassibles comme des statues d'antan. J'ai remarqué la grosse dame en partant au travail un jour de juillet; elle était vêtue d'une robe si colorée que tous les yeux, déjà attirés par son impressionnante corpulence, se posaient sur elle. Elle fait partie des personnages que l'on remarque rapidement mais que l'on oublie vite; je l'aurais sans doute oubliée si je ne l'avais pas revue le lendemain, à la même heure, en train d'attendre le tram sur le quai d'en face. Je n'aurais pas été vraiment surprise si elle s'était contentée de monter dans le wagon lorsqu'il s'est arrêté devant elle, j'aurais pensé à une simple coïncidence dans nos emplois du temps respectifs, mais c'était différent pourtant. Elle n'est pas montée et, en réalité, elle n'est pas montée non plus dans le prochain, ni ce jour là ni ceux qui suivirent. Je l'ai vue chaque jour à la même heure, assise avec un air exténué, regarder passer les tramways sans jamais y monter pourtant. Je n'avais jamais le temps d'attendre davantage et, quand je revenais le soir, elle n'était plus là. Mes horaires sont différents maintenant mais il m'arrive de la revoir lorsque je repasse aux alentours des mêmes heures; elle fait partie de ces monuments qui emporteront leur secret avec eux.
    Je crois que je pensais à elle en rentrant un soir lorsque j'ai vu la dame du balcon, que je n'avais pas remarquée elle non plus jusqu'alors. Tout comme la grosse dame regardait passer les trams sur son siège, la dame du balcon regardait passer les gens du haut de son immeuble, avec un air absent sur le visage. J'ai été troublée lorsque j'ai levé la tête vers elle pour la première fois, parce que nous nous sommes observées en silence sans qu'aucune de nous ne détourne le regard, gênée de s'être aperçue qu'elle avait été repérée. Je me souviens, c'était une soirée triste, avec un ciel nuageux chargé d'éléctricité, et une voix désespérée qui gémissait dans mes oreilles. Je crois que j'avais envie de pleurer mais le regard de la dame au balcon semblait posé sur moi comme pour me donner du courage, ou au moins m'empêcher de me laisser aller. Elle n'avait pas l'air très gaie elle non-plus; je crois que nous avions beaucoup plus qu'un regard à partager ce soir-là, je crois qu'elle ne se sentait pas très bien. Je l'ai revue plusieurs fois depuis, aux environs de la même heure, toujours immobile sur son balcon, un oeil vide posé sur la ruelle déserte. Elle est un monument elle aussi, sans même le savoir; elle fait partie de ces êtres anonymes qui peuplent mon quotidien, et sans lesquels tout aurait un goût bien fade.


     


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  • Ca fait plusieurs jours d'absence déjà, des semaines même et pourtant, quand je regarde derrière moi, je ne trouve rien de nouveau qui vaille la peine d'être conté. Mon été n'est pas aussi catastrophique que je l'avais cru, finalement, sans doute en partie parce que les choses qui devaient être faites ont encore une fois été reportées. Pas de changement net et brutal à l'horizon, mais une lente et délicate transformation, qui met les nerfs à rude épreuve mais qui, au moins, préserve un minimum de santé mentale. Il y a beaucoup d'incertitude, je crois que c'est l'élément majeur de ces dernières semaines, et sans doute de celles qui se profilent doucement mais surement à l'horizon. Envies d'ailleurs, de départ, de nouveau; je crois que, arrivée à un stade, j'ai besoin de mettre un coup de pieds dans le tas informe des habitudes et du quotidien: je ne vois aucun renouveau possible sans cela. Je vais devoir prendre mon mal en patience et m'occuper aussi bien que je le peu mais, fait rare et inédit, j'ai des projets que je compte mener à terme.
    Les derniers jours m'apparaissent comme une masse floue et tremblante de paroles, d'idées, mais surtout de vide, un vide dévorant qui recouvre tout et étouffe les émotions. J'ai l'impression de ne pas avoir vécu grand chose, de ne pas avoir vécu tout court. Je connais cette passade et je sais qu'elle ne durera pas, elle suit les périodes de désespoir et précède la floraison, si seulement elle pouvait cesser de se faire attendre...

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