• Et voilà, comme souvent, je viens de parler de monastère dans un message que j'ai écrit, et je me remet à réfléchir au point d'être incapable de trouver le sommeil. J'ai toujours été fascinée par les monastères, par les existences reclues, détachées de toutes les choses terrestres. J'ai compris très tôt que c'était bien plus que de belles paroles, de beaux préceptes qu'on débite dans les films ou dans des consersations pseudo-spirituelles qui finissent toujours par conclure que, enfin de compte, on est bien mieux chez soi; j'ai compris en visitant pour la première fois un monastère des Chartreux que, sans aucun doute, cette vie fait partie de celles que j'aurais aimé vivre. Je me souviens, mes parents étaient scandalisés de découvrir des cellules minuscules, une austérité tout à fait terrifiante, et pas le moindre rapport avec l'autre en dehors des heures de prière. Ma mère, cartésienne s'il en est, avait demandé, en attendant sans doute un haussement d'épaules comme seule réponse, ce qu'ils pouvaient bien faire de leur temps, elle était persuadée qu'ils devaient s'ennuyer, et ne s'imaginait pas une seule seconde à leur place.
    Alors moi, forcément, j'avais essayé d'expliquer, de lui dire à quel point on pouvait remplir ses journées même en étant seul, isolé, enfermé. J'avais essayé de lui décrire la paix qu'on pouvait trouver dans un tel endroit, si reculé que rien ni personne ne pouvait troubler son existence. De là-bas, notre petit monde à nous ressemblait à une planète lointaine dont demeuraient quelques récits ça et là, tracés d'une main hative sur du papier médiocre, et qui n'intéressaient pas grand monde. Elle n'avait pas idée à quel point notre quotidien à tous était futil dans ces demeures du bout du monde et, à mon sens, il n'y avait que là-bas, dans ces bâtiments qui se dressent sur la limite entre le tout et le rien, qu'on pouvait réellement atteindre ce stade de "conscience supérieure" dont parlent les mythes, cette illumination. Ca me donne le vertige, parfois, de me dire qu'il est possible de vivre en permanence les quelques heures magiques que je passe derrière ma fenêtre, avec ma pensée comme seule compagne, et les milliers de questions qui tourbillonnent dans mon esprit, sans jamais se dissiper. J'ai le sentiment que, dans un tel cadre, les réponses ne se feraient jamais attendre, et je n'ose imaginer ce que serait capable de produire un esprit totalement débarassé de ses démons. Atteindre un tel stade n'a pas de prix, cela vaut à mon sens tous les sacrifices, et rien ni personne ne pourra me convaincre que l'on est mieux chez soi, à stresser pour des examens, des problèmes, du travail qui s'accumule, une émission du soir repoussée. J'ai parfois l'impression de me trouver sur le seuil, dans mes plus grands moments de réflexion, d'être à deux doigts de comprendre la futilité de tout cet univers que l'on a bâti autour de nous; dans de tels moments je suis au bord du renoncement, prête à m'abandonner, à tout envoyer ballader puisque, au fond, rien n'a vraiment d'importance. Et puis bien sûr la réalité me rattrape, on frappe à ma porte, on m'appelle, on m'écrit, et je reviens dans le monde alors que j'avais déjà un pied dehors.
    Des fois je me dis que je suis sans doute trop jeune, et encore bien trop marquée par toutes les choses que je suis sensée accomplir, et qui me retiennent ici. Et je me demande comment je serais lorsque mon existence sera derrière moi, et que les années qui s'offriront à moi ne seront que ce que je voudrais bien en faire. A moins que j'ai le courage de me libérer plus tôt, de franchir ce pas, et d'entamer la longue progression vers l'infini. Les moines l'ont bien compris, et ils l'ont illustré: elle ne s'accomplit qu'au prix de tout le reste, il ne doit demeurer rien ni personne d'autre. Se retrouver seul, complètement seul, et comprendre ce qu'est réellement la vie avant de la voir s'échapper déjà, et de rejoindre le néant.


     


    (tu vois, Ethi, c'est mal de me brancher sur des sujets comme ça ;)


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  • Ca me fait mal, parfois, de me dire que tous ces gens que je croise dans la rue, tous ceux qui ont un regard triste, et même ceux qui rient aux éclats, ont sans doute eux aussi des plaies dissimulées sous leurs vêtements. Ca me fait mal de me rendre compte peu à peu qu'il n'y a pratiquement pas un seul être humain qui ne vive pas avec le souvenir de ses émotions passées, avec des blessures parfois lointaines mais toujours douloureuses, avec des pertes et toutes sortes de déceptions. Je m'étais laissée absorber dans une vision idyllique d'un monde où les autres étaient toujours heureux; peu m'importait au fond de souffrir pour ma part, je trouvais souvent le réconfort en regardant les gens aller et venir, comme si rien ne les troublait jamais, comme s'ils avaient toujours ce même air béat sur le visage qui me montrait que, en fin de compte, il y avait des gens pour qui tout allait bien.
    Et puis les témoignages se sont multipliés, j'ai entendu des tas d'histoires si différentes, j'ai appris à ouvrir les yeux avec un petit peu plus d'attention sur ceux qui m'entourent, et j'ai compris que personne n'était épargné. A présent, les visages rieurs de mes souvenirs sont voilés, et ceux qui, dans mon enfance, me paraissaient toujours au mieux de leur forme, se révèlent maintenant sous leur véritable jour. J'ai réalisé que je les regardais depuis tant d'années avec un regard d'enfant naïf qui dresse une frontière entre ses proches et les autres; je m'étais imaginé sans vraiment m'en rendre compte que les gens qui m'entouraient étaient forcément différents, moins affectés par toutes ces choses qui forment l'existence. Alors maintenant je regarde les passants d'un oeil différent, je me dis que, parmi les visages anonymes que je croise, il y a des personnes qui souffrent peut être, d'autres qui remontent la pente, d'autres qui viennent à peine de se relever. Et je me sens bien plus partie de ce tout maintenant que moi aussi j'ai ma blessure, cette marque qui me collera à la peau jusqu'à mon dernier jour, et que le temps ne fera que masquer d'un voile discret.
    Ils en ont du courage, ces héros du quotidien, pour porter leur fardeau sans en avoir l'air. Parfois, je me demande à quoi je ressemble.


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  • Et voilà: ce soir, ma dernière soirée à 20 ans, "le plus bel âge" comme on dit, celui où on est sensé être heureux et insouciant, bien peu préoccupé par les aléas de la vie. Au final je crois que c'est la pire année que j'ai passée depuis aussi loin que je me souvienne, principalement parce que j'ai traversé, durant les neuf derniers mois, l'étape délicate et ô combien douloureuse de la séparation. Alors oui bien sur je peux aussi trouver pas mal de choses positives en cherchant bien, des personnes que j'ai revues et que je ne compte pas perdre de si tôt, de nouvelles activités, de nouvelles connaissances, et pas mal de nouveaux horizons qui se sont débloqués.
    C'est dingue à quel point on peut devenir autiste quand on vit en couple, c'est à la fois une expérience enrichissante et terriblement restreinte, dans le sens où on en arrive à ne faire et à n'avoir envie que de choses qui peuvent se faire à deux. Alors oui bien sûr ces choses là valent des milliards de choses qu'on fait seul, elles ouvrent la porte à un quotidien nouveau et magique empli d'éléments qu'on aurait jamais soupçonnés jusqu'alors. Et puis petit à petit quand cet univers tout entier se dissipe, on réalise que, pendant des années, il a servi de voile coloré pour masquer des alentours sombres. J'ai du mal à me souvenir maintenant des instants que j'ai vécus dans cet environnement baigné de lumière, j'ai rapidement eu l'impression de ne plus faire partie des élus et de me voir refuser jusqu'à l'accès aux souvenirs. Ils me semblent lointains à présent, ces premiers mois que j'ai du passer au milieu de ce monde monochrome où je ne trouvais aucun repère. Je crois que, au final, j'ai réussi à tirer mon épingle du jeu, j'ai réussi à garder les souvenirs colorés et les impressions magiques et à me défaire des tristesses grises et des hivers glacés: j'ai fait une sorte de tri et je n'ai gardé que ce qui me permettrait de continuer à avancer malgré tout, en laissant loin derrière le lourd fardeau de la nostalgie. Alors oui bien sur il me rattrape parfois, le temps de quelques minutes, mais je réussi toujours à le distancer, et je crois que j'ai déjà gagné la course. La mélancolie restera toujours mais elle est ma compagne de tous les instants, et elle était là bien avant tout le reste, comme si j'étais née de son sein.
    Alors finalement, cette année aurait peut être pu être pire, et je la regarde sereinement s'éclipser au coin de la rue, en lui faisant un signe discret qu'elle ne verra sans doute pas. Ca fait toujours bizarre de penser que ce sont des choses qui ne reviendront plus jamais, et que plus jamais je ne pourrais dire "j'ai vingt ans". Mais que peut-on faire d'autre à part savourer cette sentation étrange de page qui se tourne, d'un livre qui s'ouvre sur un nouveau chapitre qui ne demande qu'à être écrit. Mon premier paragraphe, ça sera la soirée mario party-téquila de ce soir, histoire de ne pas perdre les bonnes habitudes, et histoire de bien me mettre le pied à l'étrier. Et demain, si je suis encore lucide, je pourrais dire "j'ai vingt-et-un ans". Et ça sera très bien comme ça.


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  • On m'a demandé d'écrire plus souvent, et j'ai craint de ne pas avoir toujours des choses à dire, peut être parce que j'avais peur de me répéter ou, certainement, parce que j'avais peur d'aborder les choses qui me passent par l'esprit au quotidien, et que je ne couche que rarement sur le papier. Après tout quand on y pense il y a toujours des choses à dire, je crois bien que j'écris presque chaque jour quelques lignes dans mon agenda, avec des remarques futiles sur le temps, la musique qui passe dans mon walkman, mon impression du moment. Je ne m'étends jamais sur quelque chose qui ne m'a pas demandé plusieurs heures de réflexion, mais puisqu'on m'a demandé de parler plus, alors me voici.
    Ce soir, le sentiment dominant parmi tous ceux qui tournent autour de ma tête, c'est une espèce de soupe mêlée d'amertume et de rancoeur, deux éléments que j'ai toujours soigneusement veillé à mettre de côté, mais qui ressurgissent malgré tout quelques fois. On a beau se trouver toutes les raisons du monde de tendre l'autre joue et d'aimer la terre entière, je ne crois pas qu'on soit jamais à l'abri de ces quelques instants de rechute qui, s'ils sont rares, sont particulièrement douloureux. J'ai parfois l'impression qu'ils sont toujours là, embusqués, n'attendant qu'un instant de faiblesse pour sortir de leur trou. Ils ont profité d'une petite phrase assassine pour me tomber dessus, dissimulés derrière le chagrin. Je ne crois pas qu'il existe de sentiments pire que la rancoeur, elle fait partie de ces rares noms notés sur ma liste noire, ces choses que je ne veux pas connaître, que je ne veux jamais avoir à supporter. Qu'importe si on conclut des paix hâtives, si on met son orgueil dans la poche; je veux même bien passer pour une faible si ça peut me permettre d'éviter de sentir une quelconque rancoeur un jour dans ma vie.
    Pourtant ce soir elle est là, je sais qu'elle ne va pas rester bien longtemps, mais elle est là malgré tout. J'ai prié les Pénates et les Lares hier, comme pratiquement chaque jour de mon existence, et je sais que, tôt ou tard, ils m'aideront à la mettre à bas. Mais il y a ces moments où tout le réconfort du monde reste sans effet, ces minutes, ces heures où, regardant à l'extérieur d'un oeil morose, je ne vois rien ni personne qui mérite désormais que je m'attarde sur son cas. Et passer des heures à taper des mots abstraits sur les moteurs de recherche, dans l'espoir infime de trouver des images qui, sans que je puisse l'expliquer, me rappeleront quelque chose. Et Décembre qui arrive, une fois de plus, une fois de trop: j'essayerai, cette année, d'éviter mon éternelle déprime et les textes qui vont avec. Un peu de gaieté dans ce monde ne ferait pas de mal, un peu de couleur dans mon hiver si noir; je vais essayer de profiter des personnes qui sont présentes sans penser à celles qui ne sont plus là, de manger sans penser au lendemain, mais de ne pas trop boire. Des guirlandes rouge et dorées, des paquets cadeau multicolores au froissement irrésistible, et les innombrables lumières qui illuminent la ville durant des nuits interminables ou rien ne semble jamais devoir mourir. Et puis arrêter de penser à ce qui a été, à ce qui n'est plus; je ne veux même pas vraiment penser à ce qui sera, mais essayer pour une fois de me recentrer sur ce qui est, il y a tant de choses à voir. Les sourires, les mains tendues, les danses de Stella, les mario party de Drey, et tout ce qui m'aide à tenir bon alors que je m'imaginais déjà au bas de la pente. Je n'ai même pas glissé jusqu'en bas, en fin de compte, cette fois ci je me suis arrêté avant et j'ai remonté le courant sans me laisser emporter.

    Et voilà, du coup, l'amertume s'en est allée.

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  • C'est fou comme il fait froid ce soir, je vois arriver au grand galop les soirées entières que je vais passer à parler de l'hiver, du désespoir, du gel qui m'empêche de voir derrière ma fenêtre. Il faut dire que tout m'y pousse; les nuits sont plus longues et plus noires, j'ai presque l'impression que les étoiles sortent plus souvent, ou que les nuages n'arrivent plus à les masquer. Et puis le froid a ce pouvoir étrange, il procure cette sensation de mort extérieure qui ravive l'intérieur; je n'ai jamais autant l'impression d'être lucide et consciente que quand je suis gelée, comme si toutes les choses parasites et illusoires s'immobilisaient durant un instant. Dans ces moments là je suis sûre qu'on peut atteindre une illumination, une espèce de transe, mais on se met à penser tellement fort que le corps finit lui aussi par se réchauffer.
    Ce soir, il y a des étoiles gigantesques dans le ciel et un vent de mort qui dévore les branches, je les vois s'agiter derrière ma fenêtre, comme dans ces films d'horreur où une victime tente désespérément de chercher de l'aide en frappant contre les vitres. Je les laisse mourir pourtant, il faut croire que je suis d'humeur cruelle aujourd'hui; je vais même me délecter je crois de les voir crouler sous la neige dans les mois qui viennent. J'attends avec impatience ce moment chaque année, et qu'importe si je ne peux pas mettre un pied dehors sans mourir de froid; je désespère vraiment les années où il n'y a pas de neige, heureusement qu'elles sont rares, même si je me méfie toujours de l'avenir. Des fois je me dis qu'il doit y avoir une réminiscence de l'enfance quelque part, des souvenirs un peu nostalgiques de jardins immaculés et de constructions éphémères. A ma façon, je continue de vénérer la neige même si les raisons ont changé, et je l'attend chaque année à ma fenêtre, elle est mon Père Noël à moi :)
    D'ailleurs à trop en parler, je me surprends à regarder dehors, des fois qu'elle ai entendu à quel point je pensais à elle. Mais non, il est encore trop tôt, un peu trop tôt. Si elle m'écoutait, je crois qu'il neigerait tous les jours.

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