• 23

     Est-ce que la petite fille que j'ai été serais fière de moi si elle me voyait aujourd'hui? Je ne me souviens plus vraiment de l'image que je m'étais faite de moi-même, grande. Je pensais être brune, une vraie, sûrement un petit peu plus jolie, avec un métier passionnant, des chevaux, des voyages plein la tête. Pas infirmière ni institutrice, mais archéologue, avec un fouet et un chapeau. Au coeur de cette nuit d'automne qui tire sur l'hiver, j'ai préparé le thé de mes séances nocturnes, et je pense. A ce que j'aurais voulu, à ce que l'on m'a dit, quelques fois ou tout le temps, à des visages, à des mots. Certaines choses sont restées immuables mais je peine à en reconnaître d'autres, elles ont pris des chemins que je n'aurais pas pensé arpenter, des routes cachées, des sentiers serpentant entre les dunes.
    Les veilles d'anniversaires me plongent toujours dans ces états intermédiaires, où je suis partagée entre l'attirance du bilan et celle des projets d'avenir, à plus ou moins long terme.
    Je ne crois pas qu'on puisse véritablement se libérer un jour de ses démons. Il m'est arrivé de le penser et même si la perspective était rassurante et confortable à la fois, je comprends peu à peu qu'il ne s'agit que d'une idée, d'un songe. A la faveur de quelques notes de musique, d'un passage de film, d'une scène de jeu-vidéo, ils sortent de l'écran ou des enceintes pour fondre sur moi comme dans les scenari horreur des pires fictions japonaises, celles que l'on ne croit pas une seconde.
    La vie suit son cours, ici. On me reproche de ne plus donner de nouvelles mais qu'a-t-on à raconter lorsque ça va, que ça va tout simplement? J'ai peut être été l'attraction de la semaine à une époque, l'amie qu'on aime bien inviter aux soirées parce qu'elle boit pour oublier, et j'étais marrante sûrement, mais si les gens savaient à quel point ces moments étaient durs.
    Je me souviens de tout. De ma traversée du désert dans ses moindres détails, des quelques oasis, des étendues à perte de vue, des dunes par milliers. Autant d'obstacles qui se dressaient contre mes rares espoirs fugitifs, qui me disaient de lâcher prise, de m'effondrer dans le sable, de fermer les yeux. Et chaque matin, lorsque je me réveillais d'une énième nuit sans songe, je m'effondrais en voyant l'horizon reculer de jour en jour, et rien, rien, aussi loin que ma vue pouvait porter. J'ai avancé sans but entre les mirages et les scorpions, et rien de ce que j'y ai vécu ne me manquera jamais. J'y ai vu les plus beaux couchers de soleil et ces instants mystiques où la voûte se colore de rayons dorés, des aurores boréales et des crépucules constellés de feu, mais rien de tout cela, rien, n'a la moindre importance si ce n'est pas partagé.

    Ca va. J'ai mes moments de nostalgie bien sûr et quelques désolations, des démons un petit peu plus coriaces ou vicieux que les autres, des notes de musique qui s'accrochent, qui me hantent. Je n'avais jamais mesuré auparavant à quel point les mélodies pouvaient se charger de vie, transporter avec elles des paroles, des moments, des odeurs presque, toutes ces choses qui leur resteront liées jusqu'à la fin des temps. Il y a des chansons que je n'écoute plus. Pourtant j'ai cessé de les sceller dans leur boîte et de détourner le regard comme si elles étaient envoûtées; mon passé est ce qu'il est, je n'ai plus peur de lui désormais, et j'aime me souvenir parfois, comme pour être sûre d'avoir fini par en prendre le contrôle.
    Je me rappelle de ces mois de froid même au coeur de l'été, de ces mois sans âme où les visages défilaient, je ne me souviens plus des gens que j'ai rencontrés à cette époque, aucun n'avait les traits de celui que j'espérais voir à chaque coin de rue. Et puis avec le printemps suivant les jours ont repris des couleurs, le temps a fini par faire son oeuvre, malgré tout ce que j'aurai pensé. Jamais je n'oublierais cette douleur qui, j'en étais persuadée, ne s'effacerait jamais. Elle a fini par partir, elle aussi, le temps l'a recouverte d'une couche épaisse qui l'éloigne chaque jour un peu plus.
    J'ai du mal à me faire à un quotidien fait de bonheur simples et de paroles apaisantes, je n'arrive pas à vivre avec ce que j'ai toujours espéré, mais je sais que c'est mieux ainsi. Est-ce qu'on peut vraiment changer, un jour, être apaisé lorsqu'on a pris l'habitude des coups? J'ai peur de ne pas savoir faire, de reproduire des schémas, que je ne veux plus jamais voir. Je ne veux plus jamais traverser cette étendue désertique et ses pièges à chaque pas, maintenant que j'ai trouvé l'ilôt, j'aimerais arriver à me contenter de ses plages paradisiaques et des cascades cachées en son sein, sans plus jamais ressentir l'irresistible appel du large.

    Un an de plus. Une époque s'en va et une autre s'ouvre, je suis de moins en moins cette figure enfantine et de plus en plus celle que je n'ai pas encore découverte, quelque chose d'autre, que j'ai hâte de pouvoir regarder en face. Bien sûr comme tout le monde j'aimerais savoir de quoi le futur sera fait mais cette incertitude est grisante, elle me donne envie de me lever le matin, pour voir, pour apprendre. Alors je ne ferais pas de bilan cette année, je préfère les projets et les échéances qui arrivent, les beaux mois à venir, les changements. Et si j'écris moins c'est que je n'ai que des choses belles à raconter; celles-là, je n'ai jamais su les décrire.


  • Commentaires

    1
    Ethi
    Lundi 15 Décembre 2008 à 00:54
    Et donc...
    ... je me contenterais juste de te dire : un joyeux anniversaire ! Et puis je suis à la fois content que tu es moins de choses à écrire (c'est mieux pour toi après tout) et déçu de ne pouvoir te lire... ;) Ah au fait pour le T-shirt... malheureusement je me suis renseigné et le site où je comptais l'acheter a mauvaise réputation. Je cherche ailleurs. ;)
    2
    Ethi
    Lundi 15 Décembre 2008 à 00:55
    Et donc...
    ... je me contenterais juste de te dire : un joyeux anniversaire ! Et puis je suis à la fois content que tu ais moins de choses à écrire (c'est mieux pour toi après tout) et déçu de ne pouvoir te lire... ;) Ah au fait pour le T-shirt... malheureusement je me suis renseigné et le site où je comptais l'acheter a mauvaise réputation. Je cherche ailleurs. ;) (Faute horrible corrigée >_>)
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