Par
Ariniel dans
L'étoile de l'aurore le
18 Juin 2006 à 15:15
Il y a de ces expériences particulières des fois, des petits moments anodins qui marquent plus que les autres, alors qu'ils ont dans le fond, l'apparence de beaucoup d'autres. Je suis rentrée dans le dernier tram, l'autre jour, j'étais dans cet état d'esprit à la fois soucieux et désolé, le visage collé contre la vitre, les pensées perdues aux quatre coins de la ville. Il y a avait un homme saoûl dans mon wagon qui parlait fort de choses totalement insensées; j'ai dû monter ma musique très fort pour masquer le son de sa voix, et la magie est née.
Il m'a semblé que les voitures roulaient en rythme, que chaque nouvelle note était accompagnée de l'apparition d'un nouveau passant, que la lumière clignotante d'une enseigne s'accordait à la cadence de la batterie, que les voix qui allaient et venaient étaient incarnées par une feuille, un sac, n'importe quel élément capable de voler, et de suivre le tram durant quelques secondes. J'ai monté le volume à nouveau, quitte à m'en fendre les oreilles; un monde se créait tout autour de moi, englobant les voix et les présences devenues lointaines. Plus rien n'existait en dehors de ces mouvements, de ces pas, de ces frémissements; j'ai remis la chanson encore et encore, pour voir si la magie pouvait prendre à nouveau, et cela marchait à chaque fois. Je m'en souviens, c'était "Crown of Love", une chanson qui me rend triste d'ordinaire, mais cette fois était différente. Je me suis mise à sourire toute seule, sans raison apparente aux autres passagers du tram qui m'ont regardée en coin, avec cette expression surprise et soucieuse, comme s'ils se demandaient si je n'avais pas un grain. Je savais bien que je devais avoir l'air bizarre, mais je ne pouvais pas m'en empêcher; chaque nouvelle voiture qui apparaissait à un moment donné, comme si tout avait été réglé dans cette intention, m'arrachait un sourire, l'impression que les objets eux-mêmes étaient liés aux hommes, aux feuilles, que la technologie n'était au fond qu'une partie de nous-mêmes, notre création, et de ce fait dotée d'une âme elle aussi.
Mes peurs se sont envolées en l'espace de quelques minutes; la mélancolie que me procure habituellement la nuit s'est muée en profonde quiétude. J'ai terminé mon trajet à pieds, le visage levé vers les grands arbres qui bordent ma rue, dont les feuilles s'agitaient en rythme elles aussi, sans parler de celles qui volaient dans le vent. Je crois que j'ai compris ce soir là qu'aussi profonds que puissent être la peine et le désespoir, il y a toujours matière à s'émerveiller.
...ou quand ta musique accompagne ton trajet.