• Soir d'été

    J'avais peur que le temps qui passe n'efface mes souvenirs comme des vapeurs d'eau sur une vitre, ne les réduisant qu'à des odeurs plus ou moins familières, à des mots résonnant, à des échos lointains. Je crois que ça a toujours été ma hantise et, aussi loin que je m'en souvienne, pas un seul des textes que j'ai pu écrire n'évoque de près ou de loin cette évaporation de la mémoire. J'ai vu les années éloigner les choses et les gens, transformer la plus belle des promesses en un tas de paroles vides de sens, faire perler des gouttes gelées sur la moiteur des peaux entrelacées. Si l'avenir en lui-même ne me fait plus vraiment peur c'est parce que je ne pense plus à lui; tout est tellement plus simple quand on se contente de projets clairs et de rêves limités, tout est à la portée de celui qui se contente de peu, sauf que je n'ai jamais réussi à y parvenir justement.
    J'ai eu peur, je crois, de tout oublier, de l'oublier lui, j'ai eu peur parce que je savais que, quelque part au fond de moi, il fallait que j'oublie pour avancer; et bien sûr j'avais envie d'avancer. J'ai envie de mettre de la distance entre le nouveau moi qui vient peu à peu au monde, et ce moi désespéré qui m'a collé à la peau pendant tant de temps, je ne le reconnais même plus quand je me regarde dans un miroir, j'ai hâte qu'il s'en aille, j'ai hâte de le semer. Pourtant je ne veux pas l'oublier lui non plus; à quoi servent les choses que nous vivons si elles sont destinées à être oubliées, les gens qui nous conseillent "d'oublier cette histoire" ne donnent-il pas le pire des conseils, celui qui n'aboutit à rien, ou pire, à un jardin stérile sur lequel rien ne pousse parce qu'on en a trop retourné la terre? J'y ai pensé aujourd'hui, à l'arrière de la voiture, en voyant des champs verdoyants à perte de vue, et en sentant l'odeur fétide qui se dégage de leur sol. Les histoires les plus tristes sont l'engrais qui fait pousser les plus belles; j'avais commencé à bâtir sur une terre vierge, et la nature a bien vite repris ses droits.
    Alors non je n'oublie pas, la plaie est toujours aussi vivace et même si elle est bien souvent douloureuse, cela me rassure d'un côté. Je ne veux fermer les yeux sur rien, et pouvoir me retourner sur mon passé sans rougir, sans faire ressurgir de vieux fantômes qui ne demandent qu'à être entendus. Je veux être parcourue de toutes ces infinités de choses qui font partie de moi; je n'avais jamais compris à quel point le vécu est important, toutes ces secondes rassemblées en années qui font que, aujourd'hui, je n'ai plus rien à voir avec celle que j'étais avant. Je commence enfin à accepter ma propre théorie, malgré un temps d'adaptation que je n'aurais pas pensé aussi long; tout est beau, tout mérite d'avoir été vécu et, franchement, je ne regrette rien.


  • Commentaires

    1
    Roman
    Vendredi 21 Juillet 2006 à 19:43
    En effet, car la lueur d'une étoile en plein jour, quand nul ne se souvient des temps obscurs, passera pour blafarde alors qu'elle est merveilleuse.

    N'évolue pas trop vite, garde à l'esprit, celle que tu es.
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