• Derrière ma fenêtre

    J'ai toujours perçu ma fenêtre comme une sorte de frontière, de muraille, qui me sépare du monde extérieur, qui m'en protège et qui m'en isole aussi. Quand il m'arrive de m'y asseoir durant de longues heures, j'ai l'impression d'observer un univers nouveau, différent, chargé de curiosités et d'interrogations, comme si chaque chose sur laquelle je posais mon regard s'offrait à ma vue pour la toute première fois.
    A l'extérieur il y a le vent, je ne le sent pas mais je le vois secouer les branches, faire danser le linge, animer ce qui est immobile, comme s'il avait la capacité de ramener à la vie ce qui est déjà mort, et ce qui n'a jamais vécu. Je peux presque voir son sourire satisfait quand il emporte les feuilles dans un ballet tourbillonnant, je me le représente avec un oeil malicieux, passionné par cette capacité à transporter les choses, à rendre émouvante la plus mince des brindilles. Je me demande s'il se doute, absorbé qu'il est dans son activité, qu'il y a des personnes qui s'asseoient parfois pour le regarder à l'oeuvre, des personnes qui lui donnent un visage, qui lui donnent un nom. On peut l'entendre murmurer lorsque l'on tend l'oreille, on peut même le voir, pourtant il reste insaisissable, et quand on croit l'avoir atteint, on lève la tête pour réaliser qu'il est bien plus grand qu'on ne l'avait cru.
    A l'extérieur, il y a les gens, ces êtres doués de parole que j'ai pourtant du mal à comprendre, comme si je n'avais pas reçu la même faculté. Ils vont et viennent, chacun son but et sa destination; il n'y a finalement que peu de personnes qui errent, ou alors elles n'en ont pas l'air, et je ne les distingue même pas des autres. J'essaye parfois de m'imaginer d'où ils viennent et où ils vont, je leur attribue un nom, une famille, un travail, une occupation qui justifie qu'ils soient aussi pressés, des malheurs qui expliquent la raideur de leur visage. Je n'aime pas dévisager les gens, et même si je sais qu'ils ne me voient pas, je ne m'attarde jamais sur personne, comme si observer une personne était un acte trop intime pour avoir lieu entre deux inconnus. Je passe sur eux un regard vague, je les vois avant tout comme autant de pièces d'un grand puzzle, et quand la pluie les mouille, j'ai l'impression qu'elle les bénit. Elle m'arrache un sourire béat alors qu'ils sont mécontents et encore plus pressés qu'ils ne l'étaient, la pluie a un aspect mystique qui transforme n'importe quelle journée nuageuse en véritable manifestation divine, sa présence change tout, elle transforme les choses et les gens. Et quand le vent vient s'en mêler à son tour, c'est une véritable symphonie qui s'offre à moi, les éléments chantent et dansent ensemble, unis par ce lien impalpable que je ressens entre chaque être, entre chaque bâtisse, entre chaque pensée.
    Il y a vraiment une cohérence là-dedans, il n'y a rien qui ne puisse être compris, qui ne puisse être vu. Celui qui prend le temps de regarder le ciel y aperçoit des choses que les yeux pressés ratent; il en va de même pour celui qui écoute le vent, pour celui qui regarde les gens passer. De l'autre côté de ma fenêtre, il y a ma bulle, des volutes de fumées d'encens, la lueur de quelques bougies qui éclairent le jour mourrant, les traces de mon souffle contre la fenêtre. Et je souris quand la buée recouvre la vitre: la pluie de l'extérieur arrive jusqu'à moi, elle parvient à franchir la frontière. Et soudainement, le monde entier ouvre ses bras.


  • Commentaires

    1
    dima
    Jeudi 8 Juin 2006 à 09:46
    Un de ces crépuscules...
    ...tu dessineras un coeur, aimant les éléments de la nature, sur la buée qui vétit ta vitre ;) PS: j'ai aimé te lire...
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    2
    Roman
    Mardi 4 Juillet 2006 à 18:59
    Tu
    es si étrange, à te réfugier ainsi.. certains n'ont pas de fenêtre, pourquoi s'éloigner quand tu peux faire corps ? Les longues nuits que j'ai passées à essayer de capturer les étoiles de mes mains, et toutes celles où j'ai vagabondé telle une âme errante sous la pluie battante à attendre simplement qu'elle s'infiltre toujours plus profondément en moi, à jouer avec le vent qui repoussait mes membres, à sourire à ces cieux qui ne s'ouvraient à moi que lorsqu'ils le désiraient, m'ignorant le reste du temps, tels des dieux intéressés seulement par la gaieté d'une mélancolie puissante... tout cela n'est-il que pure illusion ? je ne suis qu'un animal en cage, qui ne peut respirer qu'en liberté, voilà pourquoi ma fenêtre s'ouvre quand l'onde s'approche, et que je suis forcé de la rejoindre, fleuve de vie qui s'écoule depuis l'inaccessible et lie mon coeur aux cieux... Désolé, je m'égare je pense..
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