• 10h du matin, en ce jour de Noël avant l'heure (oui chez moi on fait Noël le 23 cette année, allez comprendre).
    J'ai reçu le nouvel oeuf de Lisa hier, j'ai pris mon mal en patience pour pouvoir l'écouter dans de bonnes conditons; ça a été dur mais j'ai réussi à penser à autre chose, à laisser le boitier intact, et à attendre.
    Ce matin enfin j'ai commencé à percer sa coquille, un petit coup discret pour lui faciliter la tâche, et maintenant il se fissure sous mes yeux, et est sur le point d'éclore doucement. J'ai toujours l'impression d'assister à une naissance, comme si elle était une de ces matrices qui envoie sa progéniture à travers le monde, et chaque admirateur a son oeuf à lui, qui donnera quelque chose de différent selon un tas de facteurs qui ne se reproduisent jamais deux fois à l'identique.
    Je l'écoute en déjeunant et j'ai l'impression que les volutes de fumée qui s'élèvent de ma tasse dansent au son de sa voix; elles forment une bulle qui m'enveloppe et me sort du monde. In Exile, premier titre, tire des larmes de mes yeux encore endormis; d'ordinaire, je n'aime pas spécialement commencer une journée en pleurant, mais ce sont ici des larmes pleines de vies et je ne pouvais rêver de meilleur début. J'avais veillé à ne rien lire ou presque sur ce nouvel enfant, à me tenir éloignée des commentaires même si certains sont quand même parvenus jusqu'à moi. Je l'écouterai encore quelques fois avant de m'intéresser à ce que les autres en pensent et, même à ce moment là, je sais que mon oeuf à moi n'aura rien à voir avec celui qu'ils ont écouté.
    Elle est là, elle est encore vivante même en étant si loin, comme si une existence entière la séparait de nous autres mortels. Et quand j'ai le bonheur de frôler sa nouvelle oeuvre, je repense avec émotion aux heures et aux journées passées à écouter en boucle des chansons parfois anciennes, connues et répétées, en y cherchant une émotion nouvelle qui ne se fait jamais attendre. Et puis là maintenant j'ai quelque chose de neuf sous les yeux, des effleurements nouveaux qui glissent sur mes oreilles et font frémir ma peau. C'est toujours un moment magique, celui où une chanson inconnue rejoint la grande famille de ses congénères, elle sort de son oeuf et entre dans la bulle, dans ce monde unique que Lisa a créé. J'ai toujours l'impression d'être une privilégiée à de tels instants, comme si j'étais la seule à vivre cela. Au fond, je suppose que l'on a tous plus ou moins cette impression. Bienvenue à toi, Silver Tree.


    1 commentaire
  • Ca me fait mal, parfois, de me dire que tous ces gens que je croise dans la rue, tous ceux qui ont un regard triste, et même ceux qui rient aux éclats, ont sans doute eux aussi des plaies dissimulées sous leurs vêtements. Ca me fait mal de me rendre compte peu à peu qu'il n'y a pratiquement pas un seul être humain qui ne vive pas avec le souvenir de ses émotions passées, avec des blessures parfois lointaines mais toujours douloureuses, avec des pertes et toutes sortes de déceptions. Je m'étais laissée absorber dans une vision idyllique d'un monde où les autres étaient toujours heureux; peu m'importait au fond de souffrir pour ma part, je trouvais souvent le réconfort en regardant les gens aller et venir, comme si rien ne les troublait jamais, comme s'ils avaient toujours ce même air béat sur le visage qui me montrait que, en fin de compte, il y avait des gens pour qui tout allait bien.
    Et puis les témoignages se sont multipliés, j'ai entendu des tas d'histoires si différentes, j'ai appris à ouvrir les yeux avec un petit peu plus d'attention sur ceux qui m'entourent, et j'ai compris que personne n'était épargné. A présent, les visages rieurs de mes souvenirs sont voilés, et ceux qui, dans mon enfance, me paraissaient toujours au mieux de leur forme, se révèlent maintenant sous leur véritable jour. J'ai réalisé que je les regardais depuis tant d'années avec un regard d'enfant naïf qui dresse une frontière entre ses proches et les autres; je m'étais imaginé sans vraiment m'en rendre compte que les gens qui m'entouraient étaient forcément différents, moins affectés par toutes ces choses qui forment l'existence. Alors maintenant je regarde les passants d'un oeil différent, je me dis que, parmi les visages anonymes que je croise, il y a des personnes qui souffrent peut être, d'autres qui remontent la pente, d'autres qui viennent à peine de se relever. Et je me sens bien plus partie de ce tout maintenant que moi aussi j'ai ma blessure, cette marque qui me collera à la peau jusqu'à mon dernier jour, et que le temps ne fera que masquer d'un voile discret.
    Ils en ont du courage, ces héros du quotidien, pour porter leur fardeau sans en avoir l'air. Parfois, je me demande à quoi je ressemble.


    2 commentaires
  • Et voilà: ce soir, ma dernière soirée à 20 ans, "le plus bel âge" comme on dit, celui où on est sensé être heureux et insouciant, bien peu préoccupé par les aléas de la vie. Au final je crois que c'est la pire année que j'ai passée depuis aussi loin que je me souvienne, principalement parce que j'ai traversé, durant les neuf derniers mois, l'étape délicate et ô combien douloureuse de la séparation. Alors oui bien sur je peux aussi trouver pas mal de choses positives en cherchant bien, des personnes que j'ai revues et que je ne compte pas perdre de si tôt, de nouvelles activités, de nouvelles connaissances, et pas mal de nouveaux horizons qui se sont débloqués.
    C'est dingue à quel point on peut devenir autiste quand on vit en couple, c'est à la fois une expérience enrichissante et terriblement restreinte, dans le sens où on en arrive à ne faire et à n'avoir envie que de choses qui peuvent se faire à deux. Alors oui bien sûr ces choses là valent des milliards de choses qu'on fait seul, elles ouvrent la porte à un quotidien nouveau et magique empli d'éléments qu'on aurait jamais soupçonnés jusqu'alors. Et puis petit à petit quand cet univers tout entier se dissipe, on réalise que, pendant des années, il a servi de voile coloré pour masquer des alentours sombres. J'ai du mal à me souvenir maintenant des instants que j'ai vécus dans cet environnement baigné de lumière, j'ai rapidement eu l'impression de ne plus faire partie des élus et de me voir refuser jusqu'à l'accès aux souvenirs. Ils me semblent lointains à présent, ces premiers mois que j'ai du passer au milieu de ce monde monochrome où je ne trouvais aucun repère. Je crois que, au final, j'ai réussi à tirer mon épingle du jeu, j'ai réussi à garder les souvenirs colorés et les impressions magiques et à me défaire des tristesses grises et des hivers glacés: j'ai fait une sorte de tri et je n'ai gardé que ce qui me permettrait de continuer à avancer malgré tout, en laissant loin derrière le lourd fardeau de la nostalgie. Alors oui bien sur il me rattrape parfois, le temps de quelques minutes, mais je réussi toujours à le distancer, et je crois que j'ai déjà gagné la course. La mélancolie restera toujours mais elle est ma compagne de tous les instants, et elle était là bien avant tout le reste, comme si j'étais née de son sein.
    Alors finalement, cette année aurait peut être pu être pire, et je la regarde sereinement s'éclipser au coin de la rue, en lui faisant un signe discret qu'elle ne verra sans doute pas. Ca fait toujours bizarre de penser que ce sont des choses qui ne reviendront plus jamais, et que plus jamais je ne pourrais dire "j'ai vingt ans". Mais que peut-on faire d'autre à part savourer cette sentation étrange de page qui se tourne, d'un livre qui s'ouvre sur un nouveau chapitre qui ne demande qu'à être écrit. Mon premier paragraphe, ça sera la soirée mario party-téquila de ce soir, histoire de ne pas perdre les bonnes habitudes, et histoire de bien me mettre le pied à l'étrier. Et demain, si je suis encore lucide, je pourrais dire "j'ai vingt-et-un ans". Et ça sera très bien comme ça.


    4 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires